ECCLA ne peut que regretter que ces 5 années n'aient pas été mises à profit pour améliorer le projet en tenant compte du débat et donc pour redimensionner le projet à la baisse
A/ Les remarques d'ordre général
1/ Cette enquête publique suit le Débat Public de 2013.
Dans le Débat Public, le projet était supposé arrêter les navires traversant Suez et allant vers Rotterdam, ce qui supposait évidemment l'accueil de navires plus importants car les navires naviguant au sein de la Méditerranée sont nettement plus petits que les navires au long cours. On rappelle la parole des experts lors de l'atelier durant le débat : «Un navire de 225 mètres est un grand navire pour le marché européen de proximité et pour un port secondaire, mais un petit navire pour le marché mondial et les lignes longues distances. »
2/ ECCLA joint à cette contribution le cahier d'acteur qu’elle avait produit pour ce Débat
En effet, l'essentiel de ses remarques reste encore valable à l'exception du projet pilote des éoliennes qui a finalement vu le jour.
3/ ECCLA continue à lire que l'activité portuaire est une activité essentielle à l'économie.
Tout dépend de ce qu'on y fait ! Si on exporte des produits fabriqués en France en surplus, parfait. Si on importe des produits que nous n'avons pas en France et dont nous avons besoin, parfait aussi. Si on importe pour moins cher des produits fabriqués localement comme par exemple du ciment turc, on risque de fermer la cimenterie de PLN. Rappelons que Lafarge était le seul industriel contre cette extension car Carayon importait du ciment turc qui concurrençait Lafarge. Celui-ci a fini par acheter les silos qui ne servent plus aujourd'hui (on pourrait d’ailleurs mettre le dossier à jour, ils sont toujours au nom de Carayon…).
4/ Dans certaines parties du dossier, on évoque une cible de 5,1 Mt et dans d'autres de 4 Mt.
Pourquoi cette différence et quelle est la valeur retenue pour l'évaluation des avantages socio- économiques ?
Par ailleurs, l'hypothèse de 4 Mt en 2030 est maintenant complètement surréaliste car il faudrait que le port fasse plus que doubler d'activité en 10 ans dans une période où les trafics mondiaux ont tendance à stagner.
5/ Sur les prévisions d'augmentation de trafic,
ECCLA n'a rien à retirer de ce qu’elle a écrit sur ce sujet dans son cahier d'acteur, mais peut-être à en rajouter. En effet depuis 2013, il y a eu la Loi sur la transition énergétique, la CPO21 et la signature d'un accord mondial pour tenter de limiter les gaz à effet de serre, la Loi sur la fin des hydrocarbures en France... Continuer à imaginer un doublement du trafic sur les hydrocarbures liquides paraît peu vraisemblable !
6/ Dans le document N°7, on trouve les avis qui ont été demandés.
Dommage qu'on n'y trouve pas les avis des organismes suivants :
Si les avis ont été demandés et donnés, merci de les joindre au dossier d'enquête. Si tel n'est pas le cas, il pourrait être utile de leur demander.
Sinon, on serait tenté de penser qu'après avoir eu un avis négatif du CNPN, la Région n'est pas été incitée à demander leur avis à d'autres structures environnementales plus proches connaissant bien le terrain.
B / L'aspect économique
1/ Ce projet est un pari.
La Région investit et elle espère que des industriels viendront charger ou décharger à PLN. Elle espère aussi que ces mêmes industriels investiront de l'argent privé, mais à ce jour, on ne sait toujours pas. Pourtant, il s'est écoulé 5 ans depuis le Débat Public. Durant l'atelier d'experts, il avait été souligné que les ports de petite taille avaient tendance à investir beaucoup sans garantie du côté industriel. On peut lire dans le dossier :
« Les incertitudes sur la position que prendront les opérateurs portuaires actuels de Port-La-Nouvelle et les chargeurs qui utilisent le port en 2016. Le débat public a été l’occasion pour eux d’affirmer leur attachement au projet d’extension du port et à sa nécessité pour maintenir l’activité économique à un niveau compétitif permettant de maintenir cette activité. Cependant aucun engagement n’étant formalisé à l’heure actuelle, il est difficile de cerner le niveau d’implication une fois le projet lancé. »
Question : commence-t-on à avoir une idée sur cet investissement privé, à l'exception des éoliennes ?
2/ Durant la réunion publique ont émergé pas mal de questions sur la Valeur Actuelle Nette (VAN)[1] et le Taux de rentabilité interne (TRI)[2].
Ce qui nous avait le plus interpellé était les deux grands tableaux sur les avantages socio-économiques et sur les coûts (pages 38 et 42) bien détaillés année après année et rien sur les recettes. ECCLA a donc été chercher sur internet la façon dont se calculent ces deux valeurs selon le gouvernement (Rapport au Commissaire Général à l’Investissement 27 novembre 2015).
Effectivement, on doit bien calculer les recettes et les dépenses comme une VAN « normale » mais on y ajoute les avantages socio-économiques calculés selon des règles très formalisées. Il manque donc, année par année, les recettes générées par ce projet, lesquelles recettes sont en partie précisées dans le document :
« Théoriquement, les investissements qui seront réalisés par la Région Occitanie avec l’appui des collectivités locales partenaires du projet, devraient procurer des recettes puisqu’ils seront rémunérés :
On estime donc que les investissements « publics » consentis par la Région et les collectivités partenaires seront globalement couverts par les recettes globales futures »
A ces valeurs doivent s'ajouter les rentrées fiscales supplémentaires qui sont indiquées dans le document du gouvernement et que le Maire de Port-La-Nouvelle a signalées lors de la réunion en évoquant même une durée d'une quinzaine d'années.
Merci d'ajouter au document le montant de ces recettes année après année.
3/ Reste l'évaluation des avantages socio-économiques
Cette évaluation est parfaitement formalisée par le Gouvernement, mais qui n'en reste pas moins discutable :
D'où une question précise : quel est l'hinterland qui a été pris en compte ?
C/ Les aspects environnementaux en général
1/ De façon générale, on retrouve dans les aspects environnementaux, un grand classique des études d’impact :
2/ la richesse de ces milieux est exceptionnelle.
Il suffit de rappeler les zones Natura 2000 qui jouxtent le projet ou sont incluses pour partie dans le projet :
« La zone du projet pour sa partie marine (futur bassin) est localisée dans l’emprise du Site d’Intérêt Communautaire « SIC » des Côtes sableuses de l’infralittoral languedocien et de la Zone de Protection Spéciale ZPS Côte languedocienne. Elle jouxte également la ZPS : les Etangs du Narbonnais au Nord au niveau de la partie terrestre. Le projet est également susceptible d’entrer en interaction avec la ZCS du complexe lagunaire de Bages-Sigean par l’intermédiaire du grau de Port-La-Nouvelle, seule voie de communication entre cet étang et la mer ».
Auxquelles il faut ajouter les ZNIEFF, la réserve naturelle, le PNR... Le dossier précise d'ailleurs que les enjeux sont forts à très forts sur ces milieux, leur faune et leur flore.
Il faut aussi préciser qu'une partie a déjà été détruite, côté réserve naturelle, lors de mise en place de la plateforme Nord.
Finalement la synthèse des enjeux est la plus instructive
Plutôt que d'entrer dans le détail de ces enjeux, nous allons regarder les mesures prises pour limiter les impacts :
3/ Eviter et réduire
n ne peut qu'être impressionné par le nombre de mesures proposées : 25 pour éviter et réduire, mais il faut aller y regarder d'un peu plus près :
4/ Compenser
Depuis le début, ECCLA a dénoncé le fait que la Région considère que le financement de la Réserve Régionale de Sainte Lucie est une compensation en soi à l'extension du port.
5/ Les mesures d'accompagnement : les suivis
Il faut signaler qu'il est prévu un très grand nombre de mesures de suivis, plus d'une dizaine.
ECCLA demande que tous ces suivis soient rendus publics et mis régulièrement en ligne sur le site de la Région.
D/ Les aspects sédimentaires et le recul du trait de côte
1/ Le recul du trait de côte.
Pour un « novice » une chose est évidente sur la carte : le littoral côté Sud est plus avancé en mer que le littoral côté Nord. Ce phénomène est donc en partie ancien. Le dossier précise :
« la tendance à l’avancée du trait de côte observée au Sud de Port-La-Nouvelle entre 1935 et 1997 s’est affaiblie sur la période récente »
« une tendance moyenne au recul du trait de côte de Port-La-Nouvelle à Narbonne-Plage de l’ordre de -1 m/an sur les 20 dernières années »
« la tendance érosive de -1 m/an observée sur les deux dernières décennies sur le secteur entre Port-La-Nouvelle et Narbonne-Plage est un phénomène relativement récent »
Donc, depuis 20 ans, les choses évoluent vite, ce qui relativise beaucoup les prévisions que l'on peut faire, surtout à 50 ans. Une chose est sûre : le port actuel a une responsabilité avérée dans l'érosion du trait de côte : 1,50 m par an au nord immédiat du port, 0,50 m par an au sud immédiat. Bien que, dans le Débat Public, il était dit qu'avec l'agrandissement du port "les plages ne seront plus érodées", le dossier d'Enquête Publique reconnaît que le nouveau port aggravera l'érosion.
Comme précisé dans le dossier : « On pressent que les futures digues de l’extension du port par des fonds de -15 m IGN69 vont potentiellement intercepter localement le courant littoral et consécutivement, le transit sédimentaire responsable des tendances évolutives du trait de côte et des petits fonds. Une grande partie de ce littoral étant actuellement à tendance érosive, il semble important ne pas amplifier le phénomène. »
Le suivi de cette érosion et de l'évolution du trait de côte est essentiel. Finalement, tout cela va accélérer la disparition de la plage de la Vieille Nouvelle et donc d'une partie de la Réserve Régionale de Sainte Lucie.
Le maître d'ouvrage prévoit donc une période de cinq ans pendant travaux et cinq autres années après travaux pour un suivi du trait de côte.
ECCLA considère ce suivi comme très insuffisant et demande un suivi sur plusieurs décennies, non seulement avec une observation du trait de côte mais aussi une analyse bathymétrique régulière des fonds.
2/ Les aspects sédimentaires
Draguer et stocker 10 Mm3 n'est pas chose simple. Tout d'abord, ce qui est dragué est un mélange de sable et de particules fines. Pour pouvoir réutiliser les sables, il faut déjà les séparer des fines. La technique de la surverse est évoquée et étudiée, mais outre qu'elle est couteuse et pas toujours facile à mettre en œuvre, elle aggrave l'impact sur la turbidité de l'eau.
« Les impacts seront plus importants lors des périodes de temps plus agité et avec l’utilisation de la surverse. En effet le panache est plus étendu et rentrerait notamment dans l’étang de Bages-Sigean.».
Après le dragage, le clapage qui va détruire presque 3 km2 de fonds marins, entre la partie qui sera reprise pour les remblais et celle qui devrait servir plus tard, éventuellement, au rechargement des plages. Pomper, stocker, repomper et recharger, les shadocks ne sont pas loin !
De façon générale ECCLA est opposée au rechargement des plages. C'est un peu comme les canons à neige. Il faut prendre en compte l'évolution naturelle et surtout éviter de l'aggraver. Au lieu de cela, on propose des équipements lourds qui aggravent le phénomène, puis d'autres actions pour compenser l'aggravation.
3/ La qualité des eaux et la remise en suspension des polluants
Déplacer des sédiments va remettre en circulation les contaminants et polluer les masses d'eau. Les sédiments sont assez lourdement pollués par des HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques)
« les masses d’eau côtières et lagunaires de la zone du projet sont dans un état mauvais et un état moyen respectivement notamment suite à la contamination chimique des milieux »
La pollution la plus caractéristique de l'étang de Bages est due au cadmium, pollution historique liée à l'usine de Micron Couleur qui a fermé il y a une dizaine d'années. Depuis l'étang voit sa pollution diminuer lentement, mais des sédiments sont encore pollués, y compris en amont de l'étang.
Le PNR avait mis en œuvre tout un programme pour améliorer la qualité de l'eau de l'étang de Bages, y compris en collaboration avec les collectivités territoriales pour la remise aux normes des stations d'épuration et des stations de remplissage sécurisées pour la viticulture. Il continue à suivre attentivement la qualité de l'eau. Cependant, il ne faudrait pas que les travaux déclenchent une nouvelle contamination et ceci demande donc une attention toute particulière.
La Région a prévu des mesures pour éviter et réduire la contamination chimique liée aux sédiments à draguer. Elles sont assez précises : aller draguer de façon séparée les sédiments pollués, les ramener à terre et les stocker de façon étanche dans des remblais. Etanche pour combien de temps ? Car les remblais sont appelés à durer.
Vu le coût de la mesure (1M€) on peut espérer que cela sera fait correctement, mais nous continuons à émettre des doutes quand on voit ce qui s'est passé sur les « stockages étanches » de Salsigne.
E/ La lagune de Bages-Sigean
C'est le cœur du PNR. ECCLA, très inquiète de l'impact de ces travaux sur la lagune, n'a pas été rassurée par la lecture du dossier. ECCLA pointe plusieurs risques :
Or il est écrit dans les suivis : « amélioration du calage du modèle hydrodynamique en terme de flux dans le grau (échanges entre la mer et la lagune) et de bathymétrie ». Si ce modèle est mal calé ou mal vérifié, cela remet en cause tout ce qui concerne l'impact sur l'étang de Bages-Sigean. Il existe sûrement de nombreux modèles d'échanges hydrodynamiques, probablement même que l'IFREMER dispose d'un tel modèle.
ECCLA demande que les simulations d'échanges soient faites avec un autre modèle afin de comparer les résultats, ce qui donnera une idée de la validité des résultats et une fourchette d'erreur sur les prévisions.
Nous n'avons pas su trouver dans le document un premier bilan des sédiments clapés depuis de nombreuses années et de leurs éventuels impacts.
Le grau a déjà une longueur très importante qui limite les entrées d'eaux marines. Avec le nouveau port, ces entrées risquent d'être encore réduites et d'accroître le confinement de l'étang. Pas un mot sur ce sujet dans le dossier par rapport à l'équilibre de l'étang. Comme il est écrit que les échanges mer-étang sont faibles, il est déduit un peu rapidement qu'il n'y a pas d'impact. En fait, cet impact, dont l'ampleur est à vérifier, n'est pas lié aux travaux (période courte), mais à l'existence même du nouveau port et aux nouvelle digues (période longue).
Le courant littoral est orienté vers le Nord, de Perpignan au grau de la Vieille Nouvelle et vers le sud de Fleury à ce même grau.
Les poissons nagent à contre-courant. Pour entrer dans la lagune, il leur faut contourner la grande digue, ce qui accroit la difficulté, sans compter l'augmentation de la longueur du grau qui en rajoute. Les échanges mer-lagune ont donc aussi une importance cruciale pour les migrations de poissons.
F/ Conclusions
Au vu de l'absence de prise en compte des résultats du Débat Public,
Au vu des enjeux environnementaux de la zone, en particulier pour l'étang de Bages-Sigean,
Au vu des risques d'impacts importants sur la biodiversité,
Au vu de l'aggravation du recul du trait de côte et l'impact fort sur la plage de la Vieille Nouvelle,
Au vu de l'absence de compensation à l'exception des grandes nacres,
Au vu de l'aspect « pari » des retombées économiques où rien n'est assuré :
ECCLA émet un avis défavorable à ce projet de port
Pour ECCLA, sa Présidente
Maryse Arditi
P.J. : 1
http://cpdp.debatpublic.fr/cpdp-pln2015/_SCRIPT/NTSP_DOCUMENT_FILE_DOWNLOAD9988.PDF?document_id=7&document_file_id=7
Le 20/02/13: Débat Public de l’extension du port de Port La Nouvelle : Implication forte d’ECCLA
[1] La VAN est le bénéfice de l’opération. Elle se calcule à partir des bénéfices annuels : recettes – dépenses. Pour être additionnés, ces bénéfices sont actualisés (le taux d'actualisation, c'est comme le taux d'intérêt, mais en sens inverse ; les sommes gagnées dans le futur valent moins aujourd'hui). Pour un projet d'infrastructure, on ajoute aux recettes des avantages socio économiques, ce qui améliore le projet ; le taux d'actualisation est 4,5%, la VAN est calculée sur 50 ans.
[2] Le TRI est le taux d'actualisation qui annule la VAN, donc qui donne la rentabilité du projet