Article paru dans l'Indépendant
Energie solaire, Carcassonne, Narbonne
Publié le 22/05/2024 à 12:00 , mis à jour à 14:35
Développement durable en Corbières et Minervois (DDCM), Ecologie des Corbières, du Carcassonnais et du littoral audois (ECCLA) et EcoHabiter en Corbières et Minervois tenaient mardi 21 mai une réunion publique à Ferrals-les-Corbières : un rendez-vous donné pour "alerter, informer et proposer" autour de la question de l’accumulation des "mégaprojets" de parcs photovoltaïques, avec une "possible multiplication par 50 de la surface actuellement couverte sur le seul périmètre de la communauté de communes".
C’est là tout le paradoxe, souligné dès les premières minutes de la réunion publique organisée mardi 21 mai, à l'Espace culturel de Ferrals-les-Corbières, par un collectif informel regroupant Développement durable en Corbières et Minervois (DDCM), Ecologie des Corbières, du Carcassonnais et du littoral audois (ECCLA) et EcoHabiter en Corbières et Minervois : "Trois associations positionnées sans ambiguïté" sur la question de la nécessaire transition écologique et du développement des énergies renouvelables (EnR), soulignait Franck Turlan (EcoHabiter), aux manettes de la soirée. Mais trois associations réunies pour "alerter sur la menace du développement déraisonnable et non concertée du photovoltaïque au sol" : alerter les citoyens et les élus, mais aussi "informer et proposer un mode d’action collective" afin d’aboutir à la définition "d’une stratégie partagée du développement du photovoltaïque".
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Une "urgence" au regard de la courbe exponentielle des "mégaprojets" photovoltaïques (PV) au sol : si, au gré de trois heures de réunion, le potentiel projet porté de 220 hectares sur Fabrezan-Camplong a bien fait office de fil rouge, c’est à l’échelle du territoire des Corbières que le débat a porté. Avec des chiffres vertigineux : ceux des parcs accordés, avec autorisation de la préfecture, avec Tournissan1 (sur 55 hectares), Tournissan2 (21,5 ha), Albas (34 ha), Ribaute (44 ha) ; mais aussi en instruction, à Fraissé-des-Corbières (29,6 ha) ; ou enfin en projet, avec 78,25 ha et 74,08 ha à Saint-André-de-Roquelongue, 62 ha à Fontjoncouse, et donc 220 à Fabrezan-Camplong. Pour résumer, alors que 9,52 MWc (mégawatt-crête) de puissance – on peut considérer qu’un hectare équivaut à un MWc de puissance – sont aujourd’hui installés à l’échelle de la communauté de communes région lézignanaise Corbières Minervois (CCRLCM), 109 MWc sont autorisés, 99 en instruction, et 381 en projet. Une réplique de l’appétit des développeurs photovoltaïques à l’échelle audoise : au 4 avril, 244 MWc sont exploités sur le département, pour 408 autorisés, 520 en instruction, et… 3 955 MWc en projet, selon des données communiquées par la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) et traitées par ECCLA.
Alerter, informer et proposer : une stratégie en trois temps déclinée lors de la réunion de près de 3 heures, avec les interventions de Jean-Louis Escudier (ECCLA), Maxime Guillaume (DDCM), Hervé Leferrer (viticulteur, Domaine du Grand Crès), Lionel Feuillas (coprésident de la ligue pour la protection des oiseaux, LPO) et Eric Ciappara, président d’Enercoop Languedoc-Roussillon (développeur de projets EnR citoyens et coopératifs). Cinq acteurs qui, à tour de rôle, ont décliné les craintes qui escortent le phénomène, et ses potentiels impacts sur les paysages, l’agriculture, le tourisme, la biodiversité, ou la "paix sociale dans les villages". Avec une certitude martelée par Franck Turlan autour de ce qui "est à la fois un grand risque et une belle opportunité : qu’on le veuille ou non, ça va se développer. On ne parle pas de quelques projets isolés, on est aux prémices du développement du solaire". Une marche forcée pour atteindre des objectifs de productions des EnR, qui à l’échelle de l’Occitanie, avec la stratégie Région à énergie positive, passe par une multiplication par 4 d’ici 2030, puis par 8 d’ici 2050, de la puissance installée en photovoltaïque : "C’est à dire 15 gigawatts en moins de trois décennies, soit ce qui est installé aujourd’hui en France."
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Des objectifs faramineux qui font peser le risque d’une course à l’échalote pointée par Jean-Louis Escudier (ECCLA), allant jusqu’à parler de la "marée grise" à redouter, "en laissant des énergéticiens s’approprier d’immenses zones naturelles, agricoles et forestières, en faisant miroiter aux élus et aux agriculteurs une rente inespérée". Engagé dans un recours devant le tribunal administratif contre les permis de construire délivrés pour le programme Tournissan-Ribaute, Maxime Guillaume (DDCM) soulignait lui des zones d’implantation contre-intuitives, avec des terres en Natura 2000 directive oiseaux ou en zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) : "Ce qui peut apparaître comme des zones de garrigue abandonnées a une vraie utilité. Et cette garrigue, comme les arbres, seront toujours plus utiles pour lutter contre le dérèglement climatique que tout aménagement superficiel." Un argument développé par Lionel Feuillas (LPO) pour dérouler les potentiels "impacts sur la biodiversité, la grande oubliée quand on parle de changement climatique" des mégaprojets : un triste inventaire à la Prévert, avec modification des températures, du cycle du CO2 et de l’azote, de la végétation, des habitats naturels et accessibles, sans oublier l’accroissement de la mortalité des insectes, en 1re ligne de toute chaîne alimentaire.
"Du photovoltaïque, oui, mais pas comme ça." Voilà donc résumée la position du collectif, opposé à des "choix inappropriés qui menacent la biodiversité et les paysages de l’Aude", avait rappelé Jean-Louis Escudier (ECCLA). Comment, alors, dans des Corbières où les projets passent par des échelles minimales de 100 MW, nécessaires pour la rentabilité de sites qui exigeront la création de postes de raccordement pour "évacuer" les kWh produits vers la ligne très haute tension qui traverse ce secteur. Sans doute en suivant la maxime livrée par Eric Ciappara (Enercoop) : "Aménager un territoire c’est d’abord le ménager."
Mais c’est avant tout un stop, transitoire, qu’espère le collectif, "pour faire redescendre le thermomètre", espère Maxime Guillaume (DDCM), en proposant un moratoire d’un an pour les projets photovoltaïques au sol de plus de 15 ha et les projets agrivoltaïques de plus de 5 ha. De quoi autoriser la réflexion, pour aboutir à une charte du photovoltaïque au sol, animée par le parc naturel régional Corbières-Fenouillèdes avec le PNR de la Narbonnaise en Méditerranée, une charte vouée à intégrer les plans climats et schémas de cohérence territoriale (Scot) de la CCRLCM et du Grand Narbonne. Des intercos appelées à obliger les développeurs à passer par de l’investissement local et citoyen. Et pour la CCRLCM, l’impossibilité de faire l’économie d’un poste de chargé de mission "énergies renouvelables-sobriété énergétique" sur un sujet si crucial. Autant de pistes pour encadrer un nécessaire débat. Car "il est temps de se réveiller", martelait Franck Turlan, appelant au passage le cru Corbières à se positionner. "Parce que sinon, le réveil va être douloureux."